Dix faits surprenants et amusants sur la mer et les océans

C'est payé comment, un journaliste ?

Comment et combien donc est payé un journaliste ? 


Légitime, la question de savoir ce que touche réellement un journaliste en contrepartie de son travail a une influence directe sur la manière qu’il a de travailler. Au même titre qu’un tâcheron qui serait payé au nombre de tôles pliées dans la journée, un journaliste - auteur - pourra selon les cas être plus ou moins (bien ?) payé et, surtout, selon des critères ou des capacités sociales plus ou moins avancées.


Code du travail, Convention collective et plus si affinités


La règle de droit de base repose à la fois sur la convention collective des journalistes (c’est elle qui fixe les salaires minimaux) et sur le Code du travail, qui encadre les relations entre salariés et employeurs.


Ce n’est pas une faute de frappe. Il s’agit bel et bien, ici, d’une relation entre un salarié (le journaliste) et son employeur (le titre), quand bien même il est fréquent qu’un journaliste travaille pour plusieurs employeurs en même temps - il devra déclarer à chacun la liste de ses autres titres - un lien de subordination existe entre l’un et l’autre.


Ce n’est pas moi qui le dis, c’est en toutes lettres le Code du travail, dans son article L.7112-1 : 

Toute convention par laquelle une entreprise de presse s'assure, moyennant rémunération, le concours d'un journaliste professionnel est présumée être un contrat de travail.

Cette présomption subsiste quels que soient le mode et le montant de la rémunération ainsi que la qualification donnée à la convention par les parties.


Et la définition d’une entreprise de presse, elle, répond à l’article 2 de la loi du 1er août 1986 : 

 “L’expression entreprise éditrice désigne toute personne physique ou morale ou groupement de droit éditant, en tant que propriétaire ou locataire gérant, une publication de presse


Pour faciliter et classifier les choses, l’INSEE a mis en place un ensemble de codification de l’activité des entreprises. Au code NAF (ou APE c’est le nom de cette codification) 5813Z on lit “Édition de journaux". 

Et ce code NAF/APE, dans la majorité des cas, dirige la convention collective qui s’appliquera dans une entreprise. Pour reprendre le code 5813 Z qui nous intéresse, selon le site de conseil aux entreprises Coover, les conventions collectives suivantes sont appliquées : 



IDCC

Convention Collective

Part des salariés du code 5813Z rattachés à cette convention

1480

Journalistes

42,6 %

1895

Presse quotidienne régionale

10,5 %

598

Ouvriers de la presse quotidienne régionale

10,7 %

698

Employés de la presse quotidienne régionale

9,3 %

1281

Employés de la presse hebdomadaire régionale

3,5 %

86

Publicité

3,6 %

1871

Employés de la presse d'information spécialisée

1,9 %

509

Cadres administratifs de la presse quotidienne parisienne

1,5 %

1874

Cadres, techniciens et agents de maîtrise de la presse d'information spécialisée

1,6 %

214

Ouvriers des entreprises de presse de la région parisienne

1,1 %

394

Employés de la presse quotidienne parisienne

1,2 %


Autres

8,7 %


Les chiffres parlent d’eux-mêmes, la majorité des entreprises de presse appliquent la convention collective des journalistes, la 1480.


Des sous, des sous, des sous ! 


Dans son article 22, la convention collective 1480 dit : 

Les barèmes de salaires expriment des minima sans discrimination d'âge, de sexe ou de nationalité. En raison de la disparité des catégories d'entreprises de presse, il est convenu que le salaire minimum national et le tarif minimum de la pige sont fixés pour chaque forme de presse. 

Les grilles hiérarchiques correspondant aux qualifications professionnelles, par forme de presse, sont annexées à la présente convention. Les salaires correspondant à ces qualifications doivent être majorés, s'il y a lieu, de la prime d'ancienneté. Ces appointements représentent la somme minimum que chacun doit percevoir pour la durée d'un mois de travail normal, tel qu'il est défini à l'article 29 de la présente convention. Les majorations qui peuvent être apportées aux barèmes minima tiennent compte tant de la valeur individuelle que de la place qu'il est souhaitable de voir occuper dans la hiérarchie sociale par le journaliste dont l'activité professionnelle à caractère intellectuel est la seule, parmi les travailleurs de la presse, à faire l'objet d'une loi dérogatoire au droit commun. Toute stipulation de traitement inférieure aux dispositions que prévoient la présente convention et ses annexes sera considérée comme nulle de plein droit. Les accords régissant chaque forme de presse ainsi que les barèmes de salaires correspondants sont annexés à la présente convention.


C’est donc du côté des annexes à la convention qu’il faut aller regarder pour trouver ce que nous voulons tous, du pognon !


Ce montant est à lire brut de toutes charges sociales et c’est un minimum que la loi impose. Il est révisable et révisé régulièrement, pour suivre, à l’instar du SMIC, les évolutions de coût de la vie.



Qualification

Niveau

Salaires minimaux

Directeur des rédactions

185

2 735

Rédacteur en chef

Rédacteur en chef adjoint

160

2 400

Chef de service rédactionnel

140

2 125

Secrétaire général de la rédaction

Premier secrétaire de rédaction

133

2 036

Premier rédacteur graphiste

Chef de rubrique

Secrétaire de rédaction unique

Reporter-photographe

110

1 787

Reporter-dessinateur

Reporter

Secrétaire de rédaction

Rédacteur-rewriter

Rédacteur réviseur

Rédacteur graphiste

Rédacteur unique

105

1 760

Rédacteur spécialisé

Rédacteur

100

1 735

Stagiaire 1re et 2e année

95

1 715

Barème de pige feuillet 1 500 signes (hors prime d'ancienneté, CP et 13e mois) : 52 € bruts.


Ces chiffres s’entendent pour un travailleur à temps complet, qui serait donc à la disposition de sa rédaction 151.67 heures par mois.


Les pigistes (donc les journalistes payés à l’unité d’œuvre) disposent d’autres niveaux de rémunération, eux aussi révisables (Source : CFDT Pigistes) : 


  • Presse écrite

    • Presse quotidienne nationale : 66,98  € le feuillet, 19,50 € l’écho, 76,43 € l’indemnité d’appareil photo.


  • Presse spécialisée (mise à jour novembre 2022) : tous les titres de presse spécialisées, et pas uniquement des sept syndicats de la FNPS (publications d’information professionnelle ou spécialisée) : 52 € bruts le feuillet (hors prime d’ancienneté, CP et 13e mois est-il précisé). Indemnité d’appareil photo : 52 €.


  • Presse magazine (accord SEPM, étendu à toute la presse magazine), presse hebdomadaire et périodique nationale (mise à jour juin 2022) : 55,07€ le feuillet, 23,14€ l’écho, 87,21€ le dessin accepté, 56,08 € le croquis ou illustration d’article (42,30€ le 2ème, 23,79 € le 3e), 34,20€ le cabochon, la lettrine illustrée, le cul de lampe. Aucun minimum pour le web.


  • Photo, toute presse hors agence de presse photo : 64,96 euros brut la photo ou séries de photos faites dans un laps de temps de 5 heures maximum (tarif 2022 concernant le salaire minimum des journalistes professionnels qui tirent le principal de leurs revenus de l’exploitation d’images fixes et qui collaborent de manière occasionnelle à l’élaboration d’un titre de presse)


Avec pour unité d’un feuillet comptant 1.500 signes.


Ces montants ne sont pas des inventions de syndicalistes mais le résultat de négociations - souvent après - entre les éditeurs de presse et les organisations syndicales de journalistes.


Donc ça paye pas mal en fait ? 


Le lecteur peut penser que ce montant est important, et parfois c’est vrai. Il faut pour se faire une idée de la véritable valeur d’un article - au sens rémunération de la valeur - prendre en compte le travail fourni pour le livrer.

Selon son degré de connaissance du domaine abordé, le journaliste aura à se documenter, rassembler et recouper ses sources. Ce sont, au bas mot, 4 heures de travail qui sont nécessaires pour un feuillet.


Vient ensuite la partie rédactionnelle du travail, c'est-à-dire la retranscription sur le papier des savoirs qu’il a acquis en phase de préparation. Pour un feuillet, comptez environ 2 heures de travail, relecture et correction comprises.


Enfin, selon les cas, il faudra ajouter les illustrations, aller sur le site du média pour procéder à la mise en page et la mise en ligne et … Attendre le bon vouloir du rédacteur en chef pour que paraisse le papier.


Si nous reprenons les chiffres précédents, 6 heures de travail journalistique, 1 heure de travail informatique, 1 photo de couverture, 1 photo d’illustration, le montant brut total théorique perçu par le journaliste est de 52 € + 64,96 soit 116,96 € bruts. Revenons au tarif horaire, on arrive à environ 14,60 € bruts de l’heure (le SMIC horaire est honteusement à 11,27 € bruts).


Donc, en effet, comparé à une personne salariée au SMIC, un journaliste pigiste gagne mieux sa vie.

Et vint l’autoentrepreneur

Il y a quelques années de cela, le législateur a eu l’idée de créer un statut ultraléger d’entreprises avec comme dessein de réduire l’appel au travail non déclaré. L’idée de base étant de faciliter à l'extrême les modalités de création, de cotisations et de déclaration pour que les personnes réalisant de petites tâches (ménage, jardinage, petit bricolage) ne le fassent plus sans protection sociale ni assurance santé.


L’enfer étant pavé de bonnes intentions, le législateur ne faisait, ici, que créer un nouveau mode de rémunération, a priori adapté à ces petites tâches. Il ne définissait aucun minimum salarial, aucune garantie contractuelle ni aucune des assurances que procure le droit du travail - exclut de facto de ce mode de fonctionnement - ou les conventions collectives, a fortiori. Les personnes qui ont créé leur auto entreprise sont, parfois sans en avoir totalement conscience, devenues leurs propres patrons. C’est donc sur elles que les charges sociales, les responsabilités déclaratives, les assurances professionnelles … Revenaient, plus à l’employeur. Et elles tiraient un trait sur 100 années ou presque de progrès sociaux, congés payés, treizième mois, indemnités de fin de contrat, arrêts maladie …


Les entreprises de presse, dans leur vaste majorité, ne se sont pas laissées tenter par ce statut. En fait, elles n’ont sans doute pas le choix, habituées qu’elles sont à la présence et à l’attention vigilante des syndicats en leurs seins, elles savent que ce type de collaboration ne serait pas accepté.


Les plus petites structures, elles, se sont engouffrées dans la brèche qu’a ouverte le droit. Les acteurs “2.0” de la presse ont vite compris qu’il suffisait de disposer d’une adresse et d’un numéro de SIRET pour s’établir entreprise de presse, lancer un site ou un journal et gagner des sous en faisant appel à des sous-traitants disposant du statut d’autoentrepreneur.


Bien sûr, elles tordaient ainsi le bras au Code du travail et au fameux article L.7112-1 cité plus haut, mais de cela elles se moquent. Bien sûr, elles ne respectent pas les minima salariaux de la pige, mais de cela elles se moquent.


Ces entreprises travaillent comme travaillaient les “nouvelles entreprises” avant l’explosion de la bulle internet de la fin des années 90. On est entre potes” dans une “ambiance sympathique” et on se tutoie tous. Cela permet de ne pas être au travail mais de se rendre de menus services, quand bien même ces menus services sont en fait des articles de presse strictement encadrés ! 


Et, le pire, c’est que le contrat - commercial - passé entre ces entreprises de presse et leurs prestataires (on devrait parler de relation client / fournisseur) sont, le plus souvent, assortis de clauses léonines qui octroient un superpouvoir au client. Non-concurrence XXL, exclusivité, frais non remboursés, …


Comment payer correctement un journaliste ? 


Le droit a prévu les mécanismes qui permettent de rémunérer les journalistes dans des conditions correctes et légales, elles sont au nombre - en résumé - de 2 : 


  • Le CDI temps plein,

  • Le CDD, 

  • La rémunération en droits d’auteur


La “Pige” n’est qu’une méthode de rémunération, dans le principe un contrat de travail (CDD de mission ou d’usage) devrait être signé à chaque nouvelle pige (ce qui n’est que rarement le cas, la profession s’accorde sur le fait qu’une pige proposée et acceptée vaut contrat, qu’elle soit ou non publiée).


La rémunération en droits d’auteur est un mécanisme quelque peu différent, mais son concept demeure identique. A l’employeur les charges patronales, à l’employé la charge du travail. C’est l’équilibre des choses et, surtout, c’est le socle du financement du modèle social à la française.


Ce sont ces cotisations qui paient, dans le désordre, les allocations familiales, les arrêts maladie, les accidents du travail, la retraite, la formation professionnelle, la construction de logements sociaux, les soins médicaux … 


Et elles disparaissent quasiment totalement avec le statut d'autoentrepreneur.


Tu l’as bien fait, toi !


Je dispose, aujourd’hui encore, de ce statut d’autoentrepreneur. Je réalise encore des prestations - des ménages - en tant que tel pour des clients hors presse. Par exemple écrire un texte pour un site internet, traduire une notice d’emploi ou aider à la rédaction d’un courrier. Toutes ces tâches entrent dans le domaine des “microtâches” dont je vous parlais plus avant.


J’exclus dorénavant toute publication qui ferait appel à moi en tant qu’autoentrepreneur.


A cela, plusieurs explications : 


  • Être un professionnel implique de se comporter comme tel de A jusqu’à Z

  • Être libre de pouvoir écrire ou non pour qui j’ai envie

  • Ne pas être menacé par quelque rédacteur en chef - lui aussi autoentrepreneur - de ne pas publier mes papiers parce que telle ou telle position ne lui convient pas

  • Ne pas dépendre du bon vouloir d’un service administratif ou financier pour percevoir l’argent qu’on me doit.


Si, aujourd’hui, j’ai réduit la voilure - c’est le cas de le dire - en termes de rédaction d’articles sur la plaisance c’est justement car ce “pacte avec le diable” a été signé avec un titre et que ce titre a inclus une de ces clauses léonines de non-concurrence. Au détour d’une tape dans le dos et autour d’une table de restaurant, toutes les clauses sont positives. 


Lorsqu’apparaissent les nuages dans la relation entre le fournisseur et son client, ces clauses s’appliquent et l’inconfort apparaît.


Que faire ? 

On dit souvent que les conseilleurs ne sont pas les payeurs, aussi ne saurais-je vous conseiller de procéder de telle ou de telle autre manière.


Simplement, vous rappeler qu’en acceptant de travailler en tant qu’autoentrepreneur pour un organe de presse, vous êtes dans l’illégalité. L’organe de presse est dans l’illégalité. Vous vous engagez sur un terrain miné qui, un jour ou l’autre, vous explosera à la figure.


Enfin, vous crachez - comme je l’ai fait et regrette de l’avoir fait - au visage de Blum, Jaurès, Hugo, Croizat et tant d’autres qui se sont battus pour que nous disposions des droits sociaux que nous offre la France.


La prochaine fois qu’un média et vous travaillez ensemble, posez-vous la question du risque que vous prenez, en signant avec ce média, de ne plus pouvoir travailler sur le même domaine pendant de longs mois et la perte de revenus que cela engendrera.


Vous comprendrez alors tout l’intérêt du Code du Travail et de la Convention Collective Nationale des Journalistes.


A bon entendeur … Je reste à mon purgatoire !




Commentaires